Absence, solitude : la notion de temps chez le chien et chat

En France, il n’est pas encore complètement entré dans les mœurs d’aller au travail avec son animal. Cela signifie pour beaucoup de propriétaires que le temps passé au bureau pour eux est un temps passé seul pour leur animal. 

Au mieux dans un jardin, au pire entre les quatre murs de la maison, ce dernier est donc contraint plusieurs heures d’affilée à attendre le retour de son maître. Et que cette attente soit de 2 heures ou de 8 heures, il est bien difficile pour celui qui rentre à la maison de savoir comment elle a été vécue par ce compagnon. 

Parfois, quelques « indices » laissés par l’animal donnent une petite idée : des pantoufles détruites, un canapé grignoté, une plante qui gît sur le sol, une petite mare ou pire une crotte au beau milieu du salon sont la preuve que le temps a été trop long !

Mais souvent, si l’animal est propre et que l’absence n’a pas dépassé les limites de sa capacité à se retenir, le propriétaire a bien du mal à affirmer si le chien ou le chat a eu conscience de la durée réelle de l’« éloignement ». 


Des tests d’absence


C’est pour tenter de répondre à cette interrogation que des chercheurs ont soumis des chiens à des tests d’absence. Pour cela, ils ont filmé 25 chiens, connus pour ne pas souffrir d’anxiété de séparation, durant l’absence de leur maître qui « disparaissait » pendant une demi-heure, deux heures ou quatre heures. 

Si ces « expériences » n’ont révélé aucune différence de comportement durant la période d’absence quelle que soit sa durée, elles ont montré des comportements significativement différents au retour des propriétaires.

En effet, les chiens qui avaient été séparés de leur maître le plus longtemps avaient manifesté plus « franchement et ostensiblement » leur joie à retrouver leur maître : activité plus importante, battements de la queue plus vigoureux… visiblement, l’enthousiasme à rétablir le contact était plus manifeste.

Doit-on en conclure pour autant que cette intensité de comportements signifie que l’animal a pris conscience de la durée de la séparation ? C’est un pas que les scientifiques n’osent pas encore franchir… 


Comment occupent-ils leur temps ? 


Ce qu’ils savent, en revanche, c’est la manière dont les animaux laissés seuls occupent leur temps. Pour cela, il leur a suffi d’équiper 50 chats d’une caméra miniature et de voir ce qui se passe.

Plutôt actif dans la journée, le félin partage son temps « libre » entre ses postes d’observation (la fenêtre, une porte vitrée), les pièces de la maison qu’il parcourt volontiers si les portes ne sont pas fermées, les exercices physiques comme sauter, grimper, l’interaction avec les autres animaux et les allers-retours à la gamelle qui sont finalement assez peu nombreux. 

Au total, d’après cette étude, notre chat ne passerait que 18 % de son temps à dormir, ce qui est assez peu pour cet animal réputé pour la longueur de son sommeil dans la journée.

C’est plutôt le chien qui a tendance à diminuer son activité pendant l’absence de son maître pour privilégier le sommeil auquel il consacre la majorité de ce temps lorsqu’il est loin de lui. Ce qui expliquerait son enthousiasme à le retrouver car cela signifie pour lui la perspective de jeux ou d’interaction qui lui ont manqué dans la journée. 


Sentent-ils vraiment notre arrivée ? 


Quant à la prétendue « préscience » de notre retour dont nos animaux feraient preuve, elle ne serait due, d’après les scientifiques, qu’à la routine que nous avons établie avec nos animaux de compagnie. 

S’ils semblent nous attendre derrière la porte comme s’ils avaient pressenti l’imminence de notre retour, c’est parce que, finalement, nous sommes assez ponctuels et que nous franchissons le seuil de notre maison approximativement aux mêmes heures !  

Si notre absence est vécue sensiblement bien par la plupart des chiens qui ne souffrent pas de l’anxiété de séparation, c’est certainement parce qu’elle résulte d’un apprentissage (celui de la solitude) et parce qu’elle s’inscrit dans un cadre d’absence relativement défini. Une fois par jour, pendant un certain nombre d’heures qui permettent à l’animal d’échanger dans la journée et de faire ses besoins (pour le chat, c’est moins important car il dispose d’une litière). 

Mais dès que ces phases d’absence sortent de la routine (et donc de l’apprentissage) et génèrent un isolement répété et long, elles ont des conséquences manifestes sur l’état de bien-être de l’animal. Et ce d’autant plus que le propriétaire ne compense pas ce manque de stimulation à son retour, soit par une phase de jeux endiablée lors des retrouvailles, soit par une promenade prolongée, soit par des caresses. 
 

Des signes d’anxiété


Une étude réalisée en Allemagne sur 1 177 chats montre par exemple que les chats laissés seuls longtemps dans la journée, et cela de manière répétée, sont ceux qui présentent le plus fréquemment des signes d’anxiété qui se caractérisent par des léchages compulsifs, de la malpropreté ou des miaulements. 

Pour les chiens, les nuisances peuvent être du même ordre : destructions, aboiements, comportements compulsifs. Ainsi, plus que du temps qui passe, nos animaux souffrent du manque de contacts répétés et de l’interaction avec leur maître, et ce d’autant plus qu’ils n’ont pas d’autre interlocuteur que leur maître (un autre animal de leur espèce ou d’une autre espèce). 


 

Perception du temps

S’ils ne voient pas le temps passer lorsqu’ils sont seuls à la maison, ils le voient encore moins se dérouler tout au long de leur vie. Passé présent, futur… ne semblent pas exister de la même manière que pour nous pour nos chats et chiens. 

Se rendent-ils comptent qu’un événement s’est produit pour eux dans le passé, qu’ils sont jeunes (ou vieux), ont-ils des envies, des projets pour les jours, les mois à venir ? 

Il semble bien que les animaux sont comme « bloqués dans le temps » avec une perception très limitée de son déroulement. Ils vivent au moment présent et ne peuvent pas mentalement « voyager dans le temps ». 

En l’état actuel des connaissances scientifiques, les animaux n’ont pas fait la preuve qu’ils se souviennent consciemment d’événements passés avec leur contexte (date, lieu et état émotionnel) ou se remémorent des souvenirs. 

Plus simplement, leur mémoire leur permet de stocker des informations apprises, mais sans possibilité de dater l’événement et les circonstances de l’événement. Ainsi, lorsqu’un chien réalise ce qu’on lui demande parce qu’il sait qu’il recevra  une récompense pour cela, c’est davantage dû au mécanisme d’apprentissage de son espèce qu’à une capacité à se souvenir d’un événement. 

Le chien a associé que tel comportement déclenchait la venue d’une récompense (friandise ou caresse) par le biais d’un conditionnement classique (de type pavlovien). C’est le type de comportement qu’on retrouve suite à l’établissement d’une routine quotidienne (horaires réguliers de repas, de promenades, etc.).

Les événements routiniers sont souvent accompagnés de signaux externes qui permettent à l’animal de se préparer et d’anticiper, induisant des changements comportementaux de sa part. Par son caractère prévisible, la routine est importante, notamment pour les horaires des repas, afin d’éviter des comportements de frustration dus à l’attente.

Le chien se souvient autant des bonnes que des mauvaises expériences, par association des situations et des personnes, ou des événements avec les lieux. Il se souviendra de personnes qu’il connaît, des lieux où il se promène, des pensions où il passe des vacances… mais sans avoir réellement de référence dans le temps.

 

Impossible pour les animaux de se projeter dans le futur

Le chien et la plupart des animaux ne peuvent pas se projeter dans le futur et anticiper à long terme, par exemple, des besoins ultérieurs. Une étude sur des singes a ainsi montré que ces animaux pourtant évolués sont incapables de planifier leur faim future. 

Au cours d’une expérience, les chercheurs ont démontré que lorsqu’on leur propose au choix deux quantités de nourriture, ils optent systématiquement pour celle qui correspond à leur faim du moment sans penser à prendre la plus grande quantité pour stocker en prévision d’une faim future. 

Toutefois, nous connaissons tous des espèces qui engrangent de la nourriture en prévision d’un temps de disette. 

L’écureuil et ses noisettes, le hamster et ses graines ou encore la marmotte ou l’ours qui ont des besoins en graisse importants en vue de leur hibernation. Ces espèces-là agiraient-elles en conséquence pour le futur ?

Les scientifiques mettent actuellement l’accumulation de provisions sur le compte des comportements spécifiques aux espèces, programmés génétiquement. Ils s’agiraient dans ce cas, d’un instinct très fort qui les pousse à stocker pour ne pas mourir de faim durant l’hiver. Jusqu’à preuve du contraire… 




Brunilde Ract-Madoux 

Ethologue au refuge AVA



SantéVet
 
Le spécialiste de l'assurance santé chien et chat
 
 
Photo: Fotolia.com